contribution complète à venir dans quelques jours
préface
Pourquoi la rue est à toi
Homme à l’allure blessée,
Quand la nuit froide vient nous entourer
quand rien ne bouge
que tout reste figé
quand le silence vient te caresser
Pourquoi la rue est à toi
Homme au visage marqué
Quand le jour pointe le bout de son nez
L’aube du monde tout juste éveillée
Quand tout résonne
Un écho qui frissonne
J’aimerais m’enfuir au hasard quand vient le soir
Ou quand le monde dort, j’aimerais… tant pis si je ne m’en sors pas
Pourquoi le monde est à toi ?
Homme tu m’as blessée
Durant des siècles, tu m’as opprimée
Comme tant d’autres, tu m’as menottée
Pour seule raison, notre sexe opposé
Pourquoi le monde est à toi ?
Homme tu es piégé
Vers le dictat d’une même pensée
Ouvre tes bras regarde je suis là
Ta sœur, ta mère, ton amie, ton alliée
Pourquoi le monde est à toi ?
Homme tu dois changer,
Comme le ciel tu dois te dévoiler
Lâche les rênes, oh laisse-moi guider
Lâche mes ailes, laisse-moi respirer
J’aimerais m’enfuir au hasard quand vient le soir
Ou quand le monde dort, j’aimerais… tant pis si je m’en sors pas
Pourquoi la rue est à toi ?
Homme, oui j’ai le droit
de n’avoir peur quand résonnent mes pas
de marcher seule quand minuit a sonné
si tu me croises, tu me laisseras passer.
(Coline Rio : Homme ; 2023) à écouter !
à propos d’un homme
Par où commencer ? Peut-être par le titre ? Le titre de cette contribution est une référence indirecte à l’ouvrage de bell hooks intitulé « La volonté de changer (les hommes, la masculinité et l’amour) » (éditions Divergences, 2021). Je n’arriverai jamais au niveau de la puissance politique de bell hooks mais simplement à cette petite contribution, étape d’un cycle personnel de réflexions en mouvement, je l’espère contribution utile.
Et puis une forme de début aussi, une autre forme de cycle, via André Gorz, sans doute l’un de celles et ceux qui ont donné un socle solide à l’écosocialisme. Moi qui me donne comme horizon l’écosocialisme, cela me parle un peu… Il a en tout cas ouvert des portes, bousculé des idées et puis et puis en 2006… :
« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours aussi belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine le vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.
J’ai besoin de te redire simplement ces choses simples avant d’aborder les questions qui depuis peu me taraudent. Pourquoi es-tu si peu présente dans ce que j’ai écrit alors que notre union a été ce qu’il y a de plus important dans ma vie ? Pourquoi ai-je donné de toi dans « Le Traître » une image fausse et qui te défigure ? Ce libre devait montrer que mon engagement envers toi a été le tournant décisif qui m’a permis de vouloir vivre. Pourquoi alors n’y est-il pas question de la merveilleuse histoire d’amour que nous avions commencé de vivre sept ans plus tôt ? Pourquoi ne dis-je pas ce qui m’a fasciné en toi ? Pourquoi t’ai-je présentée comme une créature pitoyable « qui ne connaissait personne, ne parlait pas un mot de français, se serait détruite sans moi », alors que tu avais ton cercle d’amis, faisais partie d’une troupe de théâtre lausannoise et étais attendue en Angleterre par un homme décidé à t’épouser ? »
André Gorz : Lettre à D. (Galilée, 2006)
Il faut un sacré courage et une sacrée dose de lucidité pour écrire cela. Et franchement, ça met les larmes aux yeux. Il y a un lien avec bell hooks, c’est évident : l’amour. Et moi, suis-je capable de cela ? Au fait, je le pose d’emblée, merci d’éviter, camarades, les remarques du type « ça y est, il a sombré dans le gnan gnan ». Simplement, interrogez-vous, camarades, pourquoi lorsque l’un·e d’entre nous écrit le mot « amour » vous décidez, presque systématiquement, de mettre de côté et de mépriser ?
Enfin, pour donner complément une forme d’introduction à cette contribution, un extrait d’une autre contribution de décembre 2022 intitulée « balade militante et révolutionnaire sur toutes les choses qui sont exactement à la bonne place » :
«
– Et « Vendredi 13 », épisode 5 ?
– Heu…
C’est un couple, visiblement endommagé, à la recherche d’un je-ne-saisquoi qui pourrait sauver leur soirée, à défaut de leur amour. Le mâle interroge la femelle du menton, elle fait la moue.
– OK, enchaîne Nikki, vous avez un problème avec les ados morts.Que pensez-vous de « Scanners 2 » ? « The New Age » ? Oui ?
Elle leur vend sa soupe : il y a plusieurs suites à « Scanners », le film de David Cronenberg sur les agents aux pouvoirs psy, capables de tuer avec des fréquences inconnues – deux suites officielles, puis un « Scannercop » et un « Scannercop 2 ». Mais c’est vraiment « The New Age » qui tire son épingle du jeu, en proposant une virée exponentielle dans la conspiration.
Un mystère épais, paranoïaque, aux ramifications sans fin. Une plongée dans le glauque des salles polyvalentes, du mal en costume-cravatte, du pouvoir tout-puissant des grilles de calcul, d’un Capitalisme sans tête, sans
âme, partout à la fois, qui sait tout, voit tout, entend tout, et des soldats de l’ombre qui luttent contre cet enfer conceptuel où l’humanité est aujourd’hui enfermée, célébrant la toute-puissance de la commodité sans se poser la question du pourquoi. C’est un scanner qu’il faudrait , une armée de scanners pour lire l’intimité de ces pensées infertiles, de ces mensonges. Une clarté, une vigilance ouverte. Une transparence.
– Oui, mais, est-ce qu’il y a une histoire d’amour ? demande le mâle, intrigué.
– Ah mais bien sur monsieur. Il faut beaucoup d’amour pour faire exploser une tête.
Ils ont l’air convaincus, Nikki en profite pour leur faire signer une carte de fidélité.
(David Calvo)
Le point de départ de cette partie de ma contribution sera ce mail d’une camarade : « Ce qui m’interroge c’est ton positionnement. Je n’arrive nulle part à trouver un discours masculin sur ces questions qui explicite la position de dominant. Il me semble que si j’étais un homme, le travail que j’aurais à faire sur ces questions serait comme tu le fais d’entériner les analyses que les femmes font de la domination, mais surtout, de déconstruire les privilèges dont j’aurais le bénéfice. Autrement dit, il me semble qu’il y a un argumentaire masculin à construire sur les bénéfices et les renoncements que les hommes ont à faire en quittant la position de domination. Cela permettrait qu’ils parlent de leur place d’homme et pas seulement pour soutenir les femmes (ce qui je le répète, n’est déjà pas mal). Qu’en penses-tu ? »
Je fais le choix de ce point de départ car je suis un homme et que je milite pour une société libérée de toutes les formes d’oppressions, y compris celles que j’exerce. En posant cela, je pars du postulat que le patriarcat est une réalité. Et comme je n’aime pas les postulats, il me faut d’abord définir le “patriarcat“. Il s’agit d’un concept venu de l’anthropologie qui désigne une organisation sociale fondée sur la domination masculine. Ce système social est aujourd’hui incontestable, même les femmes et hommes politiques de droite doivent en convenir, ou plus précisément annoncer en convenir. Il me faut néanmoins encore creuser et préciser car il y a justement ce paradoxe : l’égalité femmes·hommes est présentée comme une valeur centrale à défendre dans les sociétés capitalistes modernes mais les gouvernements nous expliquent que cette égalité est loin d’être une réalité concrète et qu’ils n’y peuvent pas grand-chose. Dans ce contexte, je parlerai, pour être plus précis que la première définition issue de l’anthropologie, d’un système social de domination des femmes par les hommes, s’appuyant sur un système politique, social, économique et physique de pouvoir. Cette définition permet de s’extraire de l’essentialisme que porte l’expression “domination masculine“ car elle reste sur un plan physiologique et psychologique, expression intégrée dans la définition du patriarcat mais qui évacue la question systémique. Ceci permet d’ailleurs de s’extraire d’emblée d’un supposé “complot“ ourdi par les hommes contre les femmes. Disons-le autrement : tous les hommes ne sont pas des violeurs en puissance, mais la culture du viol fait que tous les hommes bénéficient d’un avantage indéniable dans les rapports entre femmes et hommes quand il s’agit des relations sexuelles. Disons-le encore d’une autre façon : même les formidables hommes féministes bénéficient du patriarcat, un peu d’humilité sur soi-même devrait permettre de s’en rendre compte assez simplement.
Je reprends alors : je suis un homme et je milite pour une société libérée de toutes les formes d’oppressions. Premier problème : je parle d’un horizon écosocialiste dont l’une des racines est le socialisme mais le socialisme n’a pas brillé par sa pertinence dans l’articulation entre exploitation de classe et exploitation des femmes… D’ailleurs, le mouvement ouvrier parlait d’abord de la “condition féminine“, calquant en quelque sorte cette question sur la “condition ouvrière“. Cette approche a une limite évidente : elle pré-suppose que les inégalités femmes·hommes vont disparaître avec la fin du système capitaliste. Cela place donc la “condition féminine“ comme une lutte annexe à celle de la lutte des classes.
Le concept de patriarcat permet de dépasser cette vision, permettant d’introduire la notion de genre, défini comme étant les rapports sociaux de sexe, à savoir la division sexuelle du travail. C’est un point important qui est rarement souligné : parler du genre, c’est dire que les inégalités entre les femmes et les hommes sont des inégalités issues d’un système social, donc une construction sociale, et non pas de façon essentialiste une “nature féminine“ et une “nature masculine“. Cette approche, soyons honnête, ne fait pas totalement consensus aujourd’hui dans les mouvements féministes et provoque des ruptures puisque dans cette approche le sexe biologique ne détermine pas forcément le genre. Mais si l’on veut comprendre et expliquer la persistance du patriarcat, y compris dans les sociétés du “socialisme réel“, il me semble fondamental de nous engager dans cette voie car elle est une voie nous permettant de ne pas nous enfermer dans des différences dîtes naturelles mais d’insister sur le fait que ces différences sont la conséquence d’un système social. Cela ne règle pas tout, mais au moins nous posons des questions politiques qui tendent à desserrer l’étau de l’oppression.
A partir de cela, nous pouvons dérouler la situation d’aujourd’hui : il y a une division sexuée du travail qui comprend la question des divisions de genre selon les métiers, les inégalités salariales importantes, le “travail domestique“ et la “charge mentale“ qui restent des éléments structurant des familles (même avec des “hommes féministes“) ; il y a un contrôle du corps des femmes que ce soit dans la maternité et les combats pour l’IVG, que ce soit dans le sexisme dans la sexualité et jusque dans la culture du viol. Et puisque c’est un système, il y a des dogmes :
1. L’existence d’une culture de violence. Tout comme il y a une culture du viol qui excuse et justifie celui-ci, la violence a aussi des racines culturelles. On regarde des films pleins de héros masculins super violents qui ont toute légitimité pour frapper, tirer ou bombarder. […]
2. Une masculinité définie par la violence. La masculinité est liée à la démonstration de force. Nombre d’actes violents sont liés au besoin de prouver qu’on est un homme. […]
3. Une position dominante. La domination masculine nécessite et permet l’usage de la violence. Elle se maintient en partie par la violence physique effective, mais aussi par la menace constante de son irruption.
La soumission des femmes est complexe : elle se joue au niveau individuel, tout en étant influencée par la structure sociale, elle est souvent soumission à un homme en particulier alors qu’elle est d’abord soumission à une série de norme sociales, elle peut être délicieuse tout en menant à de désespérantes impasses. Une chose est sûre : affirmer que la soumission n’est pas une faute morale, mais un destin auquel les femmes sont sans cesse rappelées invite à penser à nouveaux frais les problèmes du consentement, notamment dans le domaine sexuel.
Bref, dans notre société patriarcale, l’homme est l’humanité et c’est bien cela l’un des problèmes qui me préoccupe comme homme.
Donc le patriarcat, donc je suis un homme : mais, j’insiste, je ne suis pas né mec. Beauvoir, en écrivant « On ne naît pas femme : on le devient » […] rejette les différences biologiques comme déterminants de la différence sexuelle au nom de la plus grande importance de la réalité sociale, mais elle n’en nie pas la réalité. D’autre part, surtout, elle n’en conclut pas que la différence sexuelle n’est pas réelle ni qu’elle n’est pas vraie : elle se contente de la considérer comme socialement située.
Ajoutons que plus encore que la consternante solidarité des agresseurs entre eux et qui n’étonne personne, le grand ennemi d’une entente égalitaire entre les sexes qu’il est important d’identifier, en nous et chez les autres, c’est le consentement des femmes à leur propre soumission. Je dirai donc, ce qu’il est important d’identifier, pour ma part, c’est mon consentement à me placer comme dominant. Bref, et moi dans tout ça ?
L’idéologie patriarcale conditionne les hommes à croire que la domination des femmes leur est bénéfique, alors qu’elle ne l’est pas. Puisque je suis un camarade de lutte, je me pose la question de ma place dans cette lutte. Je pense que puisque qu’il s’agit de participer à une lutte révolutionnaire ayant pour objectif de mettre fin à l’oppression induite par le patriarcat, il faut dans un premier temps poser la question de la façon dont se mène cette lutte. Cela veut dire accepter par exemple que les femmes décident de réunir des réunions non mixtes, cela veut dire accepter de ne pas s’accrocher à sa place dans une structure militante, cela veut dire accepter de ne pas avoir provisoirement sa place pour parler, cela veut dire accepter d’entendre que son attitude n’est pas très “féministe“ sans bouder et râler. Cela veut dire accepter d’être humble. Dans la mesure où les hommes sont les agents principaux qui maintiennent et soutiennent le sexisme et l’oppression sexiste, ces systèmes ne peuvent être réellement éradiqués que si les hommes sont contraints s’assumer leurs responsabilités et de transformer leur conscience et celle de la société toute entière. Je précise que le choix du verbe “accepter“ est volontaire : cela demande une forme de volontarisme d’une part, et de dépasser son nihilisme spontané d’autre part. En particulier, les hommes ont une immense contribution à apporter à la lutte féministe dans le fait de révéler, d’identifier, de confronter, de transformer le sexisme de leurs pairs et de s’y opposer.
Dans cet ordre d’idée, la prise en compte politique des Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) au sein d’un collectif est un point central. Il y a des hommes violents et agresseurs dans nos collectifs militants et, dans le cadre d’une société où il y a une impunité en matière d’agressions sexuelles, c’est une responsabilité politique de premier plan que de travailler à une tolérance zéro à l’égard de ces crimes et délits afin de construire une société qui, elle-même, ne les tolèrent plus. C’est pourquoi, d’ailleurs, en prenant en compte la justice, dont on sait les limites sur ces questions, nos collectifs militants ne doivent pas s’y appuyer et avoir une réponse politique en plus d’une réponse concrète de protection des victimes.
Enfin, ne pas négliger que l’homme pauvre ou de la classe ouvrière […] a été éduqué par l’idéologie sexiste à croire qu’il y a des privilèges et des pouvoirs qu’il devrait posséder uniquement en raison de son genre masculin découvre souvent que peu, s’il y en a, de ces bénéfices lui sont automatiquement accordés dans la vie. Cela renvoie aux rapports avec la classe ouvrière sur laquelle je reviendrai à la fin de cette contribution.
Tout ceci ne répond pas totalement à la question posée : quels bénéfices et renoncements ont à faire les hommes en quittant leur position dominante ? Et, plus précisément : moi ? C’est que je voulais poser quelques questions politiques avant d’y arriver. Et je vais m’appuyer sur ma situation personnelle. Je pense, pour commencer, à la partie de pouvoir symbolique dans les différentes structures militantes auxquelles j’appartiens. Bref, ma participation à des collectifs de direction politique. Je pense, en premier lieu, à mon syndicat, la CGT, dans laquelle j’ai eu de multiples mandats nationaux et locaux. C’est, bien entendu, lié à la question bureaucratique (sur laquelle je reviendrai) mais je parle bien là de ma position dominante comme homme dans cette situation. Ou, plus précisément, que le fait que je sois un homme a permis que j’ai tous ces mandats. Concrètement, il s’agit de travailler à imposer statutairement, donc dans les règles de fonctionnement de la structure militante : la parité et la limitation des mandats dans le temps et la quantité. Il s’agit aussi d’imposer un fonctionnement lors des réunions ou groupes de travail qui soit paritaire dans les prises de paroles limitées dans le temps. Avoir ce travail, c’est commencer à construire et réfléchir une société qui ne soit pas patriarcale. Commencer à le faire dans un cadre militant me paraît la moindre des choses. En attendant cette mise en place, il faut s’imposer une éthique personnelle : ne pas prendre la parole systématiquement, s’imposer une limitation des mandats voire renoncer à se proposer à un mandat si un problème de parité se pose. J’en tire un bénéfice évident : je m’extrais d’un fonctionnement par rapport de force, formule très “masculine“, et travaille à une relation plus apaisée à ces collectifs de direction politique. Cette éthique personnelle est fondamentale : elle nécessité humilité et détermination. En un sens, par ailleurs, un véritable féminisme des hommes.
Je terminerai cette partie par la question de la sexualité en m’appuyant sur la nouvelle conversation des sexes proposée par Manon Garcia en citant également bell hooks.
La révolution sexuelle et l’activisme féministe et lesbien ont mis en évidence que le sexe était politique et qu’en lui se trouvait l’un des terrains fondamentaux du patriarcat. Et le consentement apparaît comme l’outil central d’une revendication d’autonomie et d’agentivité sexuelles, que le patriarcat a historiquement refusées aux femmes. Par conséquent, le consentement apparaît comme un outil de première importance pour le féminisme. En même temps, comme on l’a vu au sujet du BDSM, le concept de consentement est ambivalent : il peut fournir un outil central pour garantir des rapports sexuels épanouissants, dans lesquels chacun·e est libre de choisir sa propre conception du bien et du plaisir, mais aussi rendre possibles, voire légitimer, des rapports de pouvoir et de domination qui nuisent aux femmes et perpétuent des structures patriarcales.
Si l’enjeu est de lutter contre les injustices de genre tout en préservant l’autonomie sexuelle de toutes et de tous, s’il s’agit en somme, pour reprendre la formule de Gloria Steinem, d’ « érotiser l’égalité » plutôt que la domination, alors le consentement sexuel, conçu comme conversation érotique, est sans doute l’avenir de l’amour et du sexe.
Contrairement à ce que certaines critiques du consentement voudraient nous laisser croire, ce n’est pas la même chose d’avoir un mauvais rapport sexuel au sens où l’expérience a été décevante que d’avoir un rapport sexuel mauvais au sens où notre autonomie et notre intégrité n’y ont pas été respectées. Cela nous montre enfin que les femmes sont particulièrement vulnérables dans la sexualité et que cette vulnérabilité donne aux hommes une responsabilité d’autant plus grande de s’assurer du consentement de leurs partenaires. Et, en même temps, que les femmes ne sont pas les seules dont le consentement compte et que le consentement de personne ne peut être tenu pour acquis. A ce titre, le consentement sexuel apparaît comme un concept à manier avec précaution mais qui porte en lui les promesses d’une révolution sexuelle qui, cette fois-ci, serait la libération de toutes et de tous.
Cherchons donc une nouvelle conversation des sexes dans nos rapports sexuels pour nous extraire de l’oppression sexuelle que tous les hommes entretiennent d’une façon ou d’une autre. Notre objectif doit bien être celui d’éliminer cette oppression sexuelle pour que la sexualité n’ai plus cette centralité permanente, jusqu’à la compétition, en passant par le consumérisme, et donc la frustration. Nous cherchons une révolution sociale et donc une révolution sexuelle qui se déconnecte totalement d’un système social oppressif. S’engager dans ce travail via la sexualité a un avantage certain : il s’agit aussi de nouer des relations intimes évolutives, non soumises à l’esprit de performance d’une part et à la structure familiale d’autre part. C’est la relation évolutive entre deux êtres humains qui peuvent par ailleurs avoir des enfants (ou pas) en nouant par ailleurs une relation via la structure familiale ainsi constituée. J’y trouve aussi l’intérêt d’avoir une relation avec la femme qui partage ma vie consacrée à notre relation et donc y compris aux processus de domination intimes entre nous et m’en dégager plus facilement. On retrouve là encore une éthique personnelle, cette fois dans une sphère plus intime. Je cherche là à répondre au problème de “l’homme féministe“ dans le cadre personnel. Là encore : détermination et surtout humilité. »
matthieu brabant : balade militante et révolutionnaire sur toutes les choses qui sont exactement à la bonne place (coolLibri, 2022)
Certaines parties sont extraites des ouvrages suivants :
bell hooks : La volonté de changer. Les hommes, la masculinité et l’amour (éditions Divergences, 2004)
bell hooks : De la marge au centre (Théorie féministe (Cambourakis, 2017)
Mona Chollet : Réinventer l’amour (La Découverte, 2021)
Manon Garcia : On ne naît pas soumise, on le devient (Flammarion, 2021)
Manon Garcia : La conversation des sexes (Flammarion, 2021)
Daisy Letourneur : On ne naît pas mec (Petit traité féministe sur les masculinités) (La Découverte, 2022)
(à retrouver en ligne : https://criticoop.org/balade-militante-et-revolutionnaire-sur-toutes-les-choses-qui-sont-exactement-a-la-bonne-place/ )
Bon reprenons…
A la recherche d’un homme aimant
J’ai grandit dans la violence. Et le tempo de la violence était donné par un homme, mon père. Violences verbales, physiques, psychologiques. Ma mère, mon frère et ma sœur en ont également été les victimes et portent encore sans doute comme moi les traces (non visibles ?) de ces violences. Nos parcours se sont éclatés, j’ai moi-même pris une distance pour me protéger de ce climat malsain qui pouvait encore exister, je ne parlerai donc réellement que de moi lorsque je dis que j’ai longtemps été étanche à l’amour afin de me protéger de sentiments que j’imaginais forcément devoir déboucher sur de la violence. Peut-être en partie en suis-je encore là, parfois. Me protéger, sans doute, me préparer à donner des coups, cela ne fait aucun doute, et considérer que l’amour est un leurre pour cacher la violence. Je suis presque certain qu’à un moment j’ai même théorisé cela autour du fait que le Capitalisme utilise l’amour comme un leurre pour détruire car la lutte des classes est une guerre, et dans une guerre pas de sentiment, seulement des pièges. Et puis l’amour est une conception bourgoise, liée au concept bourgeois du mariage. Bref, l’amour ne sert qu’à nous détourner de notre lutte contre les oppressions. Voici ce que j’ai théorisé. Notez que le mot « patriarcat » n’apparait pas dans cette matrice théorique. C’est, qu’au fond, j’ai grandit dans la violence patriarcale dans laquelle j’ai accepté au début d’évoluer. Cette matrice vaut bien entendu avec le fait que mon père était un militant du PCF et de la CGT, que j’ai grandit à La Courneuve, lieu de rencontre des univers particulièrement patriarcaux des mouvements communistes et ouvriers. Non seulement la question de la réception de l’amour, mais également la question de l’amour que je peux (ou pas) donner, et la violence en fait que je peux (ou pas) donner.
Et puis 3 espaces se sont ouverts : dans l’ordre la mort d’une camarade, la naissance de ma fille et la mort de mon père.
Reprenons dans l’ordre.
Une camarade est morte, donc, et pas n’importe quelle camarade pour moi. Caroline restera dans mon univers intérieur à tout jamais. Je ne détaillerai ni ici ni jamais qui elle était. Juste dire pour le sujet qui nous intéresse que notre brève rencontre, à peine quelques semaines, et sa fin tragique, a fracturé ma matrice sur les questions de genre. Nous avons expérimenté, elle et moi, avec tous les sens possibles, et pas seulement dans la sexualité, la déconstruction des cadres du patriarcat. Cela ne pouvait que mal finir car nous avons ouvert ce que Paulo Freire appelait une « situation limite », c’est-à-dire une déconstruction des cadres de domination (y compris lorsque l’on est soit même dominant), mais sans en chercher une issue. C’était juste le chaos. Il m’en reste donc les brèches ouvertes et la conscience vive de ne jamais laisser le chaos s’installer.
Je continue.
Ma fille est née dans une période de fausse tranquillité et sa naissance m’a remis en plein cœur mes craintes sur ce qu’elle risquait de vivre et subir. Aussi, quel père allais-je être ? Quelle femme allait-elle devenir ? Le patriarcat allait-il nous envahir ? Tout ça s’est bousculé en moi pendant les 3h (3h!) pendant lesquelles je la cherchais dans l’hôpital au moment de sa naissance car l’hôpital m’avait oublié dans un coin.
Je continue.
Et puis la mort de mon père, la crainte que je lui inspirait sur la fin de sa vie, ma joie de lui faire peur (!), de lui montrer que moi Homme avec un grand H, désormais père, j’étais le mâle dominant, et puis la découverte de ses carnets secrets dans lesquels il ne disait qu’une chose : comment recevoir de l’amour ?
par la suite…
– Comprendre le patriarcat
– Être un garçon / La masculinité dans la culture populaire et les médias
– Mettre fin à la violence masculine
– La vie sexuelle d’un homme
– Le travail : quel rapport avec l’amour ?
– Défendre l’intégrité d’un homme
– Guérir l’esprit d’un homme
– Être féministe quand on est un homme
– Aimer