Une école inclusive peut-elle être validiste ?

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Contribution pour la Gauche Écosocialiste 34.


Depuis la rentrée de septembre 2024, les situations d’alertes concernant des acteur·rices de l’école inclusive, qu’iels soient enseignant· es ou AESH, du 1er ou du 2nd degré, se multiplient.

            Les alertes tiennent à la fois sur les conditions de travail des personnels et sur les violences éducatives que vivent les élèves en situation de handicap (l’Éducation nationale parle d’élèves à besoins éducatifs particulier mais nous faisons le choix, dans cet article, de parler d’élèves en situation de handicap, considérant d’ailleurs que tous les élèves sont des élèves à besoins éducatifs particuliers !).

            De fait, avec les choix gouvernementaux de fermer des dizaines d’Instituts Médico-Éducatifs (IME) ou de faire perdre des moyens sans faire de bruit aux Unités Localisées pour l’inclusion Scolaire (ULIS), ces élèves se retrouvent de plus en plus dans des classes surchargées, souvent sans accompagnement. Il faut dire que les logiques actuelles consistent à faire des économies, des économies et encore des économies, sans aucune prise en compte de l’humain. Ces situations sont violentes, pour les élèves et leurs familles et pour les personnels.

             L’école s’est toujours positionnée comme le socle de l’universalisme républicain, tout en étant – en réalité – un lieu privilégié des discriminations et des rapports de domination. La belle maxime consistant à dire que l’école ne peut être un lieu de discriminations car elle est un « sanctuaire » où on y enseigne le principe républicain d’égalité et de tolérance est une fiction qui ne résiste pas longtemps l’examen des faits, et en particulier en matière d’inclusion des élèves en situation de handicap. En ce sens, l’école est validiste car la société est validiste et que l’école n’est pas en-dehors de la société. D’ailleurs, parler d’élèves à besoins éducatifs particuliers pour parler d’élèves en situation de handicap est symptomatique : c’est définir un élève « normal » qui ne serait pas en situation de handicap comme élève modèle, façonnant un modèle de société. L’école est ainsi le lieu de la normalité, avec des normes de « réussite scolaire », de « productivité » et de « bons élèves ».

            Alors, il faut donc se mettre d’accord : de quoi parlons-nous ? Uniquement de la scolarisation des élèves en situation de handicap ? Des handicaps des personnels ? Des personnels (les AESH mais pas seulement) qui travaillent auprès des élèves en situation de handicap ? Des trois, bien entendu, car nous parlons de la prise en compte par l’institution Éducation nationale du handicap.

            Dans cet article, nous centrerons notre contribution aux élèves en situation de handicap.

            Interrogeons pour commencer la notion d’inclusion et donc la notion de normalité d’une école qui se dit inclusive. Nous ne proposerons pas dans cet article une histoire de ces notions, ce serait sans doute utile, mais bien trop long. Notons simplement que ces normes renvoient, évidement, à la question des rapports de domination. Nous faisons référence par exemple à l’inclusion des filles dans l’école ou bien encore l’inclusion des enfants des classes populaires. En ce qui concerne le handicap, les normes se sont d’abord construites au regard de la définition des normes biologiques nécessaires pour exercer un travail et/ou être soldat. C’est sous la IIIème République, avec la volonté affichée d’une école publique pour toutes et tous, que la problématique de l’inclusion (sans que ce terme soit utilisé) s’est posée un peu plus concrètement. Le choix fait, à l’époque, est d’exclure les enfants ayant une « inadaptation naturelle » à l’école, pour des raisons « biologiques » (que ce soit les « théories » racistes ou sexistes ou bien l’extension du darwinisme aux questions sociales). Ceci aboutit, en 1909, à la création des « écoles de perfectionnement pour les enfants arriérés. » L’école exclut donc les enfants en situation de handicap. Mais une culture pédagogique commence à se construire dans ces écoles, des pédagogies spécifiques, spécialisées, dans des lieux séparés des enfants « normaux ». C’est la logique qui va prévaloir pour la suite, avec la création de sections spécifiques, comme les CLIS, UPI ou les SEGPA, certes situées dans des établissements scolaires mais séparés du reste des élèves. S’ajoute la création après la seconde guerre mondiale des IME-ITEP (ITEP = Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique).

            La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances et la participation et la citoyenneté des personnes handicapées changent la donne. Cette loi est le Socle fondateur d’une série de textes (dont l’intégration de l’inclusion dans le code de l’éducation via la loi de 2013 pour la refondation de l’école). Le renversement, en théorie, est total. Mais il ne suffit pas de faire une loi pour que tout change, surtout quand les moyens ne sont pas là et que les notions d’inclusion et de norme ne sont pas interrogées. Pour opérer un tournant vraiment inclusif, une transformation des représentations et un changement des pratiques sont en effet nécessaires. Ces changements ne peuvent pas reposer sur la seule bonne volonté de ceux et celles qui travaillent à l’école : il y a besoin de moyens et de formation. Ainsi la création du « statut » d’AESH (Accompagnement des Élèves en Situation de Handicap) est une arnaque gigantesque : création d’un « métier statutaire » avec uniquement des personnels précaires, très mal payées et très peu formées. La création, en 2019 des PIAL (pôle inclusif d’accompagnement localisé), dans un objectif de mutualisation, a dégradé les accompagnements, en les fractionnant et leur ôtant leur sens pédagogique.

            Nous considérons donc que répondre à ces problématiques, c’est revendiquer des moyens et dénoncer les souffrances, mais ce n’est pas refuser en bloc l’inclusion de ces élèves : il faut poser politiquement la place de tous les enfants à l’école.

            L’école est un lieu de socialisation, c’en est même le premier et le plus important lieu. Aucun enfant ne doit en être privé. Le handicap, comme la difficulté scolaire ou sociale ne doivent plus être des prétextes pour exclure les enfants des classes ou des écoles. Nous interrogeons donc là le « droit à l’éducation », qui est d’ailleurs en réalité un « devoir » de la société envers les enfants. Cette question dépasse donc la loi de 2005. Bien au-delà du handicap, l’école inclusive est le moyen de repenser l’école dans le sens d’une école démocratique, c’est-à-dire une école de l’égalité des droits, une école où personne n’a à prouver sa capacité à être là. Pendant longtemps, ces élèves « différent·es » ont été « scolarisé·es » ou accueilli·es entre eux et elles dans des structures différentes, sans que personne ne puisse jamais faire la démonstration que c’était mieux pour eux et elles, alors même que cette ségrégation scolaire menait nécessairement à une ségrégation sociale des personnes handicapées. L’école inclusive n’est pas la négation du handicap, elle est plutôt la reconnaissance d’une communauté de tou·tes les élèves, qu’importe le handicap. Il faut donc se battre ensemble, militant·es de la gauche émancipatrice, personnels de l’éducation, avec les familles, et avec les personnes handicapées, pour gagner les moyens d’une école vraiment inclusive, ouverte et capable d’accueillir tou·tes les élèves.

            Nous devons ainsi travailler à dépasser les réelles difficultés et souffrances, y compris des personnels soumis-es à des injonctions institutionnelles sans déploiement de moyens en conséquence (effectifs de classe, formation, temps de concertation, …) et l’imprégnation d’un fonctionnement méritocratique et élitiste. Cette situation engendre de la souffrance au travail, un sentiment de culpabilité chez les personnels et, du côté des familles et de l’élève, de l’insatisfaction et un sentiment de non prise en compte de ses besoins.

            Il est temps de s’affranchir des pratiques élitistes qualifiées à tort de « républicaines » et de « démocratiques » sous couvert « d’égalité des chances » et de réussite au mérite.
            S’ouvrir à une réflexion inclusive commence par ce premier pas de côté. Il faut par exemple s’emparer de ces outils officiels souvent méconnus qui permettent la co-construction d’objectifs partagés par les professionnels qui entourent l’élève à partir de l’analyse des besoins.

            Il est nécessaire de gagner une véritable formation pour comprendre ces besoins mais aussi du temps de concertation pour les analyser et chercher collectivement des adaptations, sinon ces outils de programmation adaptée resteront chronophages, formalistes et surtout inutiles.
            La réalisation de l’école inclusive ne peut donc être menée que collectivement. Le partenariat en est la clé : la famille, les enseignant·es, les AESH, la vie scolaire, le personnel médico-social, les ERSEH (Enseignants Référents à la Scolarisation des Élèves en situation de Handicap), les établissements de santé, les établissements spécialisés. Nous insistons sur le développement des établissements de santé et spécialisés car il arrivera des situations où l’inclusion n’est pas possible car les élèves se mettent en danger ou mettent en danger les autres élèves (les situations lourdes en termes psychiatriques ou de comportements violents par exemple) : ces établissements sont nécessaires pour aider médicalement et de façon spécifique, de façon plus ou moins longue, et avec l’objectif toujours affiché d’une inclusion in fine.

            Dans la classe, l’enjeu est de répondre à l’hétérogénéité du groupe. Pour cela, les pédagogies alternatives et coopératives sont des vraies pistes : semaines interdisciplinaires, classe puzzle, pédagogie institutionnelle, pédagogie de projets, jeux cadres, autant de dispositifs où l’élève est acteur·rice (et non pas réceptacle de savoir), en interaction avec ses pair·es et qui prennent en compte les besoins de chaque enfant. Une autre façon de penser la pédagogie inclusive est la conception universelle des apprentissages (CUA) qui construit la séance en termes d’accessibilité de contenu et non plus en termes de handicap ou de « singularité » de chacun·e.

            Quoi qu’il en soit, de toutes les pistes évoquées ici, il résulte que la mise en place d’une pédagogie réellement inclusive nécessite de répondre au moins à des revendications syndicales que nous soutenons :

– du temps de réflexion et de partage – inclus dans le temps de service des personnels -, pour penser, coopérer et construire

– une formation (initiale et continue) pour tous les personnels.

– la limitation des effectifs des classes qui comptent des élèves inclu·ses.

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