Novembre 2015
Les attentats odieux du 13 novembre 2015 nous ont toutes et tous placé-e-s dans une situation de choc, de peur et de tristesse. Ces sentiments sont importants et il ne faut pas les sous-estimer. Il est d’ailleurs sain qu’une population, dans sa grande majorité, éprouve le sentiment de dire simplement que cette tragédie n’est pas « normale » dans une société qui se dit démocratique. Il est sain qu’une population dise que ces actes criminels sont inacceptables, qu’ils se déroulent à Paris, Beyrouth, Bamako ou Tunis. Car c’est bien cela aussi qui a été dit. En ce sens, il est important que nous ayons été présent-e-s lors des manifestations et rassemblements qui nous ont donné des preuves que les mots solidarités et fraternités trouvent encore un écho en France, contrairement à ce qui nous est martelé à longueur de journée dans les médias.
Ce temps important est désormais passé. Nous devons maintenant à la fois éviter les postures totalement décalées, les postures prudentes et les postures figées.
La dernière posture, la posture figée, peut nous sembler, à nous militant-e-s de la « gauche de la gauche », la plus facile à dépasser. Je m’attarderai pourtant plus sur elle. Nous savons qu’il faut agir et il est dans notre « nature » d’agir. Mais l’un des pièges de cette posture n’est pas dans l’action mais dans la gesticulation qui est une véritable posture figée. Nous pouvons développer toutes les théories pour expliquer la situation dans laquelle nous sommes, si face à nous nous avons une population figée par la peur que nous n’arrivons pas à bouger, nous sortirons perdants, la population sera perdante. Nous avons la responsabilité historique de démontrer qu’une autre voie (voix?) est possible. Saurons-nous la saisir ? Rien n’est moins certain lorsque l’on voit par exemple le désastre de nos capacités de rassemblement après l’année pourtant charnière de 2005… Nous gesticulons, nous gesticulons, nous avons l’impression d’agir, mais nous ne sommes pas dans le concret, nous gesticulons.
Cette posture vient d’une autre difficulté : le fait que les auteurs de ces attentats apparaissent être comme des produits de la société française. Pire, semblent dire certain-e-s d’entre nous qui œuvrons chaque jours dans les services sociaux ou encore dans les lycées professionnels : nous avons échoués à les « sauver ». Non pas que nous espérions gagner leur émancipation à toutes et à tous (le système tel qu’il est ne le permet pas, et nous le savons) mais a minima éviter « ça » ! C’est là avoir une vision hyper-centrée, très intellectualisée. C’est aussi oublier qu’au fond il s’agit de parcours « classiques ». Ne minimisons pas, bien entendu, l’horreur de ce qu’il s’est passé. Mais prenons simplement soin d’accepter l’idée que ces jeunes ont trouvé une « organisation » leur permettant d’exprimer leur désœuvrement et que, malheureusement, cette « organisation » est particulièrement efficace dans l’horreur. Cette culpabilisation est anesthésiante et doit être dépassée. Sans doute, nous disons par cette posture : « nous, nous sommes auprès de ces jeunes depuis tant d’années, contrairement à ces politiques qui ne parlent que de sécuritaire, nous avons échoués, nous ne savons plus quoi faire ». Ce serait laisser ces politiques qui votent ensemble le prolongement de l’État d’urgence sans aucun détracteurs concrets, et laisser la population face à ce seul choix.
Et puis enfin, notre volonté de lutter contre la « barbarie » (barbarie ? https://www.ensemble-fdg.org/content/extraits-du-moment-barbare) et les responsabilités politiques que nous connaissons ne sert à rien si nous ne nous fixons pas des tâches pratiques. C’est aussi cela dépasser la posture figée : nous devons nous fixer des tâches pratiques. Dire ceci n’est pas rien : c’est bien beau d’avoir un horizon éco-socialiste, mais en attendant nous devons être dans l’action ! Surtout dans une période comme celle-ci ! Je n’ai pas de proposition à faire sinon que de proposer que tous les comités d’Ensemble ! discutent de tâches pratiques à mettre en œuvre.
Vient ensuite la posture prudente. Cette posture qui vise à « faire attention », à « être responsable », à « ne pas se couper du peuple qui a peur ». Cette posture qui est nourrie par des sondages qui nous expliquent à quel point le peuple veut de la sécurité. Cette posture qui a conduit l’ensemble des député-e-s et une bonne part des sénatrices et sénateurs du Front de gauche à voter le prolongement de l’État d’urgence (certain-e-s sénatrices/sénateurs se sont abstenu-e-s du Front de gauche, mais personne n’a voté contre). Nous retrouvons-là des postures que l’on a connues dans le passé, et pas n’importe quel passé. Je le pose très tranquillement : c’est une trahison de classe. Et ce sont surtout les camarades ayant des mandats qui ont de telles postures. Avoir un mandat électoral nous donne pourtant encore plus que d’autres l’exigence d’être responsable. Être responsable, c’est avoir du sang-froid et ne pas céder devant ce qui apparaît être la pression du peuple, qui est en réalité la pression du pouvoir dominant qui se trouve dans une situation duale de panique et d’opportunisme. Être responsable, c’est, dans le système tel qu’il existe et en tenant compte de notre réelle influence dans le débat, ne pas voter le prolongement de l’État d’urgence car chacun sait que ce n’est pas une mesure efficace pour lutter contre les criminels. Cette posture est d’autant plus incompréhensible que ces camarades savent que de toute façon la très grande majorité de l’Assemblée nationale et du Sénat allait voter pour l’État d’urgence permanent. Il s’agissait donc bien d’une posture prudente pour apparaître au côté du peuple. Quelle erreur d’analyse, d’une part, quelle faute politique, d’autre part !
Et enfin la posture décalée. J’aurai pu l’appeler la posture « théorique », mais non j’ai bien écrit « décalée ». Cette posture est très bien représentée par le NPA. Je ne peux mieux dire que Claude Gabriel (https://www.ensemble-fdg.org/content/la-guerre-et-le-risque-dun-marxisme-purement-verbal) qui cite le NPA : « Cette barbarie abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l’aviation française en Syrie suite aux décisions de François Hollande et de son gouvernement (…) La barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement. Et cela pour le contrôle des sources d’approvisionnement en pétrole. » Claude Gabriel répond que la dialectique du petit jeu de l’œuf et de la poule a ses limites ! En effet, aussi loin que l’on puisse remonter, il est loisible de dire que Daesh et ses cousins sont les rejetons d’une histoire dans laquelle les États impérialistes ont une responsabilité majeure. Si ce n’est aujourd’hui, c’est hier quand ils soutenaient Saddam et Bashar. Si ce n’était cela, ce serait les responsabilités franco-britanniques dans la région à partir du démantèlement de l’empire ottoman… C’est toujours un truisme que de souligner les responsabilités générales de l’impérialisme dans un contexte séculaire de domination mondiale des Etats impérialistes. Si Daesh ne fait que répondre coup par coup aux agressions impérialistes, alors sa responsabilité est bien moindre. Tout comme Hitler, Daesh n’est que le fruit de l’histoire impérialiste : circulez, il n’y a plus rien à discuter. Pas mieux !
Cette posture du NPA (que l’on retrouve aussi dans le Front de gauche, et même à Ensemble!), qui vient sans doute d’un usage de la dialectique comme unique analyse, est bien théorique mais elle est surtout décalée. En effet, elle démontre de mon point de vue un décalage des positions de certain-e-s camarades vers une idéologie sectaire mortifère.
Nous avons une responsabilité historique de construire une alternative politique. C’est au moment où la bourgeoisie unie n’a pas peur de montrer sa nature totalitaire, usant de mot comme celui de la « sécurité » pour appliquer en réalité du sécuritaire, profitant de cette période pour aggraver le désordre social, que nous devons unir nos forces pour construire autre chose. Nous avons la possibilité de nous unir même avec des organisations syndicales comme la CGT qui, pour des raisons qui tiennent d’abord à une modification des rapports de force internes obligeant la direction confédérale à une inflexion plus « à gauche », se positionnent contre « l’union sacrée » qu’on veut nous imposer. En construisant cette alliance avec la CGT, ou avec d’autres qui ont des postures non caricaturales (6 député-e-s ont voté contre la prolongation de l’État d’urgence) nous pouvons passer un cap d’influence sur la société française.
N’insultons pas le présent pour ne pas insulter l’avenir.