Mars 2023.
Le congrès de la CGT arrivant, arrivent des vagues de leçons de militantisme. Il y a de vrais militants (sans écriture inclusive bien entendu), et des militant•es qui trahissent.
Petite contribution à ce « débat ».
Camarade militant·e,
j’ai un (petit) problème : je n’arrive pas trop à saisir qui nous sommes. Pour peu que nous soyons, tu as raison de le souligner avec ton sourire farceur de celles et ceux à qui on ne le fait pas.
Comme j’ai un côté un peu académique, j’ai été fouiller du côté des dictionnaires.
Voici ce que dit le Larousse :
militant, militante
adjectif
(de militer)
Qui lutte, combat pour une idée, une opinion, un parti : Politique militante.
Synonymes :
actif, combatif
militant, militante
nom
Adhérent d’une organisation politique, syndicale, sociale, qui participe activement à la vie de cette organisation.
Personne qui agit pour une cause : Les militants de la paix.
Et voici ce qu’en dit l’Académie française :
Militant, militante
adjectif et nom
Étymologie : xive siècle. Participe présent de militer.
1. Adj. Qui lutte, qui combat ; qui s’engage dans l’action pour défendre ses opinions. Un syndicaliste militant. Esprit militant. Par métonymie. Zèle militant. Ardeur militante.
▪ Spécialement. Marque de domaine : théologie catholique. L’Église militante, l’assemblée des fidèles sur terre, par opposition à l’Église souffrante et à l’Église triomphante.
2. N. Personne qui milite au sein d’une organisation politique ou syndicale, d’un mouvement religieux. Réunir les militants d’un parti. Militant ouvrier, militant pacifiste.
Franchement, cela n’aide pas vraiment, et je vois à ton sourcil sceptique que non seulement tu ne vas pas m’aider mais, pire que ça, que je me trompe sans doute de direction.
Je tente donc une autre approche. Et si la sociologie nous aidait ? J’ai donc cherché dans l’univers virtuel d’internet et je suis tombé sur une « sociologie du militantisme » : Olivier Fillieule et Bernard Pudal : Sociologie du militantisme. Problématisations et déplacement des méthodes d’enquête (https://www.cairn.info/penser-les-mouvements-sociaux—9782707156570-page-163.htm).
Selon Olivier Fillieule et Bernard Pudal, l’étymologie du mot « militant » l’enracine d’abord dans l’univers religieux, dont il s’émancipe progressivement en se laïcisant, jusqu’à désigner un activisme spécifique qui peut concerner toute activité sociale comme en témoigne la comparaison entre deux définitions, l’une de 1866, l’autre de 1995 : « adj ; 1° Terme de théologie. Qui appartient à la milice de Jésus-Christ. Le fidèle, toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l’ennemi. L’Église militante, l’assemblée des fidèles sur la terre, par opposition à l’Église triomphante (les saints, les bienheureux), et à l’Église souffrante (les âmes du purgatoire). 2° : Aujourd’hui, militant se dit dans un sens tout laïque, pour luttant, combattant, agressif. Caractère militant. Disposition, attitude militante. Politique militante. ETYM : lat. militare, être soldat » [Littré, 1866].
« adj. et nom. 1420 ; de militer. 1. relig. Qui lutte contre les tentations. Église militante (opposé à triomphante). 2. [1832] Qui lutte activement pour défendre une cause, une idée. Actif. Un syndicaliste très actif. – Qui prône l’action. Doctrine, politique militante (militance). 3. N. Membre actif d’une association, d’un syndicat, d’un parti. Militant ouvrier, révolutionnaire. Militant communiste. « Ces militants qui sont l’avant-garde de la classe ouvrière », Aragon. Une militante féministe. Aussi passionaria. Militant de base : personne qui, dans un parti, n’a pas de titre ou de responsabilité particulière dans la hiérarchie. Les militants de base et les apparatchiks » [Le Petit Robert, 1995]
Moi, là spontanément, je dirais « mouai », mais, voyant tes sourcils qui retrouvent leur aspect dynamique (typique des militant·es) et ton sourire joyeux (joie militante !), je vais creuser.
Je n’ai pas lu la suite de cette « sociologie militante » car j’ai bien envie de creuser par moi-même. Hum, un peu prétentieux, mais je suis un militant ! Bon, donc ça me fait penser aux figures du militantisme ouvrier donc, cette mémoire qui se transmet, de façon informelle ou formelle (via par exemple le Maitron). C’est vrai que, franchement, je me sens au plus profond de mes tripes (il y a sans doute un pari à gagner à placer cette expression étrange) héritier de cette histoire. Un exemple ? Chaque relecture de l’histoire de la Commune me tire les larmes aux yeux, j’te jure ça vient comme ça. Bon. Ok. Militant·e, cela pourrait être ou se reconnaître d’un mouvement (ouvrier ?) qui transcende les générations et qui va vers… ? Je peux poser des questions ? ? OK ?
Donc, je tente. Il y a quelques trucs qui me chiffonnent.
Par exemple, être admis·e dans le groupe « militant·e » entraine qu’il y a une forme de « sélection » pour avoir le droit d’y entrer et/ou s’y reconnaître et/ou être reconnu·e comme militant·e, et puis il y a la question du désintéressement/rétribution (voire de « carrière militante »), et puis et puis la socialisation de notre petit monde militant… aaaargh… je vois bien que tu n’es pas content·e.
Comment ? Je n’ai pas le droit de poser ces questions-là ? Oui ? Non ? Oui ? Ah non ? Et pourquoi donc, dis-moi, car, entre camarades, on se dit tout. Non ? Comment ? Je néglige mes racines et je m’arrête sur des détails !? Sérieusement ?! Bon, juste, non je parle, juste avant de revenir à ton histoire de racines je vais quand même poser rapidement deux ou trois trucs sur ce que je viens d’énumérer.
D’abord, sur la sélection dans le groupe « militant·es », en être ou si reconnaître. Tu ne peux sérieusement pas me dire, camarade, que c’est un détail !!!
Parce que tu vois, par exemple, dans le syndicat, disons que pour la démonstration nous sommes des militant·es d’un syndicat, dans le syndicat nous n’arrêtons pas de nous dire qu’il faut passer d’un syndicat d’adhérent·es à un syndicat de militant·es. Comment tu fais, du coup, pour décider qu’un·e adhérent·e est désormais un·e militant·e ? A fortiori dans un syndicat de masse ? Oui oui, j’ai bien compris que tu n’étais pas content·e, que tu trouves que je chicane, mais je pose des questions, c’est tout. Laisse-moi poser mes questions.
Je continue.
La·le militant·e est désinstéressé·e. Mais bon, en vrai, il faut tout de même une forme de rétribution. Arrête de hurler ! Je ne parle pas d’argent, je parle aussi d’argent. L’argent, pour certain·es bureaucrates, regarde bien tu vas trouver, ça compte. Car bureaucrate c’est faire de son être militant·e un métier. Un métier, j’insiste. Mais je parle aussi de rétributions symboliques (élections, mandats, représentations…). Je parle de militant·es professionnel·les, en d’autres temps on parlait de révolutionnaires professionnels, dont le métier est militant·e et dont on se demande en fait si elles·ils sont encore des militant·es. Cherche bien, tu vas trouver de qui je parle. Je parle de celles et ceux qui font une carrière militante. Un métier, une carrière. Et puis, juste avant ta syncope, être dans un groupe signifie une socialisation et donc des cadres de socialisation. Je vais être direct, autant poser les choses : on parle de l’alcool et des agressions sexistes et sexuelles, par exemple ? Que dis-tu ? Je caricature ? Sans déconner, cherche bien je te dis, tu vas trouver et même tu vas voir le lien avec la socialisation dans le mouvement ouvrier. Voilà, tu as trouvé.
Mais cela continue à t’énerver, je le vois bien. Tu en es à me parler de « bonne conscience » ou de « mauvaise conscience » (je n’ai jamais su si la conscience devait être bonne ou mauvaise). D’abord, je vais te dire, attend je vais te répondre sur la conscience (bonne ou mauvaise), mais d’abord je vais te dire que si tu en es à faire de la psychanalyse de comptoir, c’est que j’ai bon, que je te pose problème, que je te bouscule, que je te dérange. Ben, camarade, peut-être qu’on tient un truc, là, non ? La·le militant·e pose problème, elle·il bouscule, elle·il dérange. Il y a des fois, elle·il agace aussi, je sens bien que je t’agace. Camarade. Donc ma conscience, mon rachat idéologique suite à mon transfert de classe. Mais, tu oublies un point important : si j’ai une (mauvaise.bonne) conscience ce serait que justement je me revendique de l’appartenance à la classe ouvrière, que je me situe dans un camp social, non pas avec ses racines (je t’avais bien dit que j’allais y revenir) mais de ses sources. Ses sources. Car nous sommes dans un mouvement, nous sommes un mouvement, car la classe ouvrière bouge, est en mouvement, elle est liquide et a des sources. Alors, celles et ceux qui ont basculé, militant·es devenu·es autre chose, se complaisent dans leur conscience, mais moi j’ai une conscience collective mouvante que tu ne pourras pas me la retirer.
En ce sens, d’ailleurs, va falloir se mettre d’accord sur les militant·es professionnel·les ou révolutionnaires professionnels (hip, Lénine!) : arrêtons de nous arrêter sur les bureaucrates, on s’en fout des bureaucrates, le syndicat.parti est leur lieu de travail, et arrêtons-nous sur celles et ceux qui font le choix profond d’une vie militante, je te donne une expression bien niaise ça va te reposer, celles et ceux qui ont ça dans la peau. Le parti de la vie. Alors, oui, ça fluctue, ça tangue, c’est difficile, c’est parfois précaire professionnellement ou affectivement. J’anticipe tes moqueries : oh le pauvre petit prof fonctionnaire, marié avec des mômes dans une maison à côté de Montpellier. Bouh bouh bouh. Oui, camarade, bouh bouh bouh, car ta moquerie est absurde. Car notre parti est celui de la vie, il est celui de l’Humanité internationaliste, et donc ton petit focus sur la France est la vision de ta petite conscience enfermée dans ses certitudes. Mais surtout, surtout, tu fais comme si c’était un jeu. Ce n’est pas un jeu, c’est la vie. La Révolution aura, bien entendu, des conséquences concrètes sur moi, ma vie, moi homme blanc qui dispose de privilèges d’homme blanc. Mais bon, du coup, j’ai parlé de mouvement, donc de création, donc de joie. Je ne renonce pas à la vie, au mouvement, à la création et à la joie. Je fais le choix d’une forme de joie qui s’inscrit dans mon humeur révoltée et militante, quotidienne, mes blessures, et les moyens que je suis capable de m’accorder. Je navigue dans une sorfraternité qui se construit en direct. Parce que, sinon, on s’emmerde un peu quand même. Ceci d’autant plus qu’il nous arrive de douter, que mon identité militante qui s’identifie à un camp social, à la classe ouvrière, est remis en cause par le fait que mon camp social lui-même doute de lui, jusqu’à douter de son existence. Nous nous sommes dilué·es dans le Capitalisme, dans le réformisme, dans la sociale-démocratie, dans la bureaucratie, dans le quotidien, dans les rites (bourgeois ?), dans les rites dominants, dans nos contradictions, dans nos copies de mauvaises Révolutions en carton.
Nous avons perdu le sens de l’aventure.
Car militer c’est se donner un horizon dont on ne sait pas trop à quoi il va ressembler, en vrai. Alors, nous construisons en route. Nous tâtonnons. Nos sociétés actuelles nous poussent à avoir des certitudes, alors que le Capitalisme a fait de nos vies des châteaux de cartes et que nous avons nécessité d’agir vite (alerte climat ! alerte biodiversité ! alerte sociale !). Pour réellement peser et changer ce monde, nous devons montrer des certitudes qui entrainent le monde à changer. Mais de quelles certitudes disposons-nous réellement ?
Nous voulons transformer la société mais pour ce faire nous devons en parallèle nous transformer, comme individus, comme collectif, en assumant de tâtonner, en entrainant du monde avec nous, mais en gardant notre horizon, notre éthique militante.
Notre éthique militante. Notre éthique militante. Tout ça pour ça. Notre éthique militante. Voici donc le plus important, camarade, notre éthique militante. Quelle est ton éthique militante, camarade ?